Mexence Digital & Robotics - Repeindre la tour Eiffel avec des drônes
Après une longue expérience dans le monde du digital, le français, Ludovic Desgrées crée Mexence Digital & Robotics en 2015, puis s'installe au Luxembourg en 2017. S'appuyant sur l'expertise d'une jeune équipe en R&D, hébergée dans les locaux de Paul Wurth Incub où elle bénéficie de conditions idéales pour son développement, la startup s'est mise en tête de développer des solutions robotiques et d'intelligence artificielle dans les secteurs pour lesquels ces technologies sont encore peu appliquées.
Pouvez-vous décrire votre parcours?
Je suis ingénieur en informatique, formé au Conservatoire des Arts et Métiers (CNAM) et j'ai une expérience professionnelle dans des projets de transformation digitale. Après une première expérience en technique de maintenance chez IBM pour les grands comptes des secteurs de la banque et des assurances, j'ai rejoint l'industrie automobile pour accompagner le projet de fusion des systèmes RH des sociétés Peugeot et Citroën pour la France, l'Espagne et le Royaume-Uni. J'ai ensuite participé au vaste programme de refonte de la logistique des pièces de rechanges automobiles pour l'Europe. Afin d'acquérir une expérience en conseil, j'ai intégré la société Steria à Paris, où j'ai développé avec succès un projet commercial innovant, au cours duquel, j'ai accompagné des entreprises du secteur public et privé. J'ai complété cette expérience par une formation en école de commerce et ai obtenu un MBA de HEC Paris (Hautes études commerciales de Paris). Je suis également détenteur d'une licence de pilote.
Comment est venue l'idée de créer Mexence ?
Dès 2000, l'envie de créer ma société a commencé à faire son chemin. J'avais déjà le nom, Mexence, un nom formé de la première syllabe de Mexique d'où ma femme est originaire et de la fin du mot France, le pays où je suis né... En même temps, quand on se lance, il faut se demander à chaque instant si ce que vous faites " makes sense " ... en d'autres termes, si vos actions " font du sens ". Mexence est là pour me le rappeler au quotidien. Au départ, l'idée qui a motivé mon choix de créer une activité était de réduire la pénibilité et le côté répétitif d'une tâche avec l'aide de la technologie. Un jour, un patron d'entreprise de BTP m'a fait part de certaines difficultés liées à son métier. En effet, il arrive assez fréquemment que la livraison d'un bâtiment prenne du retard, il n'est pas rare que des indemnités doivent être versées. Le gros-œuvre terminé, les travaux de finition, comme la peinture, entrent en jeu et nécessitent une forte main-d'œuvre. Cette même main-d'œuvre doit être immédiatement disponible et c'est là que les difficultés commencent ... Suite à cet échange, l'idée de développer un robot-peintre qui pourrait redéfinir le métier de la peinture, a fait son chemin. Mexence Digital & Robotics a été lancé en 2015 à Paris et incubé à ses débuts dans les locaux de ce patron d'entreprise de BTP. Un étudiant de CentraleSupélec, une école d'ingénieurs française née de la fusion en 2015 entre Supélec et l'École centrale Paris, a rejoint Mexence pendant six mois, avant que je ne l'embauche. Nous avons développé un premier prototype financé par le propriétaire des lieux.
Pourquoi avez-vous fait le choix de vous installer au Luxembourg ?
En 2016, l'opportunité de m'installer au Luxembourg et de bénéficier de toutes les conditions requises pour développer ce projet nous a été offerte. Le projet a été présenté en France et au Luxembourg et la réaction côté luxembourgeois a été plus rapide. Les chemins sont courts et il a été facile d'atteindre les bonnes personnes. Aujourd'hui, Mexence Digital & Robotics est établi au Luxembourg dans les locaux de Paul Wurth Incub. Il existe des synergies entre Mexence et Paul Wurth, notamment dans l'industrie et l'aviation, avec la mise en peinture des avions entre autres.
Quels sont les avantages du robot-peintre ?
Le robot-peintre, baptisé pBot (p- pour peinture ou paint et -bot de robot), est notre projet phare. Il est piloté par smartphone ou tablette et peut opérer de manière autonome. pBot a également fait l'objet d'un dépôt de brevet au Luxembourg en août 2017, et est actuellement en phase de tests opérationnels. D'autres brevets seront déposés tout au long de l'évolution du robot. Le marché du robot-peintre est très important. A ce jour, il est estimé à près de 100. 000 unités en Europe et environ 500.000 dans le monde entier. L'utilité de pBot lors de la peinture de grandes superficies n'est plus à démontrer. En plus de la réduction des tâches répétitives et pénibles, pBot permettra aux entreprises de peinture de réduire leurs coûts de production, absorber les retards de livraison actuellement trop fréquents en fin de chantier et réduire les risques réglementaires dans un secteur où la majorité des ouvriers sont des étrangers, parfois en situation irrégulière. En matière de coûts, le robot-peintre est capable d'effectuer sa mission en trois jours contre dix jours pour un peintre humain.
Le métier de peintre est-il appelé à disparaître?
Le robot-peinture est une innovation disruptive. Il propose un service basé sur l'exploitation de technologies innovantes et permettra de transformer le marché et le métier. pBot travaillera en complète autonomie, jour et nuit. Le chef d'équipe qui dirige actuellement des peintres deviendra " coach de robots " et pilotera notre flotte de pBots. Le " coach de robots " fait partie de ces métiers de demain ! Le Building Information Modeling (BIM), est une autre innovation dans le secteur de la construction, comparable à une révolution industrielle. Il s'agit d'un processus, utilisant une maquette numérique 3D intelligente comme élément central des échanges entre les différents intervenants à la construction d'un édifice. Grâce au plan 3D, la cartographie et la superficie des surfaces à peindre sont connues et les robots peuvent être programmés en conséquence. De plus, grâce au BIM, l'offre de prix est très rapide à établir, car toutes les données seront disponibles et accessibles.
Avez-vous pu bénéficier d'aides ?
Nous avons bénéficié du support et du conseil d'un certain nombre d'opérateurs locaux : la Mutualité des PME, Luxinnovation, la Chambre de Commerce, la Mutualité de Cautionnement (MC) (anciennement Mutualité de Cautionnement et d'Aide au Commerçants, NDLR), Paul Wurth et la BIL. Ces partenaires ont une vraie vision stratégique et ont compris le potentiel du projet porté par Mexence Digital & Robotics ! La BIL, par le biais de l'initiative InnovFin, nous a accordé un prêt de 450.000 euros, un crédit cautionné par la MC et la Mutualité des PME. Ces fonds nous ont permis d'embaucher quatre ingénieurs, tous diplômés de grandes écoles en France, avec des formations en informatique, robotique, automatisation, CAO et intégrateur système. Nous avons pu financer l'achat de matériel et subvenir à la location des locaux au sein du Paul Wurth Incub. La peinture utilisée pour les tests de pBot est fournie par les peintures Robin, notre partenaire local. Nous sommes en discussion avec l'université du Luxembourg pour lancer un projet de recherche dans le domaine de l'analyse de données et de l'intelligence artificielle appliquées à pBot. L'objectif est de créer des synergies avec les entreprises et les entités de recherche au Luxembourg. L'agence nationale de promotion de l'innovation Luxinnovation se tient prête à financer la deuxième phase de développement qui comprend l'étude de faisabilité.
Quelles sont les prochaines étapes pour la commercialisation de pBot?
En mars 2018, nous allons tester le robot-peintre en situation réelle, sur de vrais chantiers. Un exercice qui va certainement révéler les talents de pBot et peut-être aussi nous réserver quelques surprises enrichissantes. La phase de prototypage de cette première génération de pBot se termine, nous passons à la présérie, puis viendra la production une fois que toutes les fonctions du robot auront été validées après les tests. Des mises à jour des fonctionnalités de l'outil seront intégrées progressivement. La commercialisation de pBot est prévue dès ce printemps. La montée en charge de la production s'effectuera dès le deuxième semestre 2018 et nous chercherons de nouveaux locaux pour nous établir. Les cartouches de peinture et la majorité des pièces du robot seront recyclables et nous partons sur un business model ou modèle économique clairement orienté vers la location. Nous formerons les " coaches de robots " et grâce à une application sur laquelle nous travaillons actuellement, il sera possible de suivre à distance l'évolution des robots et de gérer la flotte pour pouvoir intervenir à temps, en cas de besoin. Après pBot, nous avons prévu la future génération des robots-peintres, avec le " PrepaBot " qui pourra intervenir dans les phases de décapage ou encore le " DécoBot ", pour effectuer des travaux de peinture personnalisés. Nous comptons y arriver d'ici à l'horizon 2019-2020. Notre rêve est de repeindre un jour la Tour Eiffel au moyen de drones !
Auriez-vous un conseil à donner à un futur entrepreneur ?
J'ai tenu mon idée de projet pendant longtemps secrète. Avec du recul, je suis d'avis qu'il faut parler de ses projets, mais choisir le bon moment pour en parler. Mes échanges ont eu un effet positif et m'ont aidé à gérer la prise de risque. Il est également fondamental d'avoir une bonne communication interne et de former une équipe fusionnelle et complémentaire, qui partage une même passion. Une bonne idée, bien encadrée et pour laquelle tout fait du sens (Make sense = Mexence), est une idée gagnante !
Texte : Marie-Hélène Trouillez - Photos : Laurent Antonelli/ Blitz